Home Dossier presse [INTERVIEW] Leo Sato et Kamagasaki : une rencontre passionnelle pour le documentariste audacieux et mobilisé !

[INTERVIEW] Leo Sato et Kamagasaki : une rencontre passionnelle pour le documentariste audacieux et mobilisé !

by Celia Cheurfa

C’est quoi un bon documentariste de nos jours ? Si la réponse n’est peut-être pas univoque, la belle leçon d’humanité donnée par Leo Sato finira de nous convaincre que les réalisateurs sont aussi des individus engagés, mobilisés, non seulement dans la représentation cinématographique, mais aussi dans le combat quotidien.  Pour cette deuxième interview du festival Kinotayo, les communautés subalternes sont mises à l’honneur à travers une rencontre avec le réalisateur de la fiction The Kamagasaki Cauldron War, Leo Sato ! Formé aux cotés du grand documentariste Makoto Sato, Leo Sato fait ses débuts dans le documentaire engagé avec Nagai Park Elegy en 2009 avant de se passionner pour le quartier de Kamagasaki, et de s’y dévouer dans une réalisation fictive qui aura pris 5 années de travail acharné pour voir le jour, The Kamagasaki Cauldron War, une chasse au chaudron un peu burlesque, où toutes les formes de déviance sont représentées : prostituée, voleur, gamin turbulent et bien plus encore ont travaillé d’arrache-pied pour livrer une performance juste et touchante. Avec son ironie à la Bourvil, son air un peu rêveur et pourtant son implication forcenée et crue, Leo Sato s’est livré en toute humilité sur son histoire en tant que documentariste et celle de ses nakama… Enjoy !

Bonjour, pouvez-vous commencer par vous présenter ?

Reo Sato : Je m’appelle Reo Sato, j’habite à Osaka, j’ai tourné un film à Kamagasaki, une sorte de ghetto. En fait, à l’époque où l’économie se développait au Japon, le gouvernement a fait venir de la main d’œuvre jeune à Kamagasaki. Il s’agissait d’ouvriers journaliers embauchés à la journée, ce qui signifie qu’il n’y avait pas beaucoup de sécurité de l’emploi. Evidemment, ils étaient embauchés pour effectuer des travaux sur les chantiers.

Dans les années 90 à plusieurs reprises, la police tente d’expulser des sans-abris, comment avez-vous réagi face à cet épisode-là ?

Reo Sato : En 1998, je n’habitais pas à Kamagasaki, j’étais encore lycéen, je ne connaissais pas Kamagasaki. Par contre en 2008, année qu’on considère comme la dernière grande révolte de Kamagasaki, juste avant la chute de l’économie mondiale, j’y suis allé, j’étais derrière la caméra, et j’ai été solidaire avec ces gens.

D’où vous est venue cette fascination et cette implication dans la représentation des personnes déviantes, en marge de la société ?

Reo Sato : J’ai l’impression que dans leur entourage, il y a plus d’humanité, beaucoup de conflits certes, mais j’y ai cherché et trouvé plus d’humanité et d’authenticité. Bien sûr, il y a de la violence policière, de la discrimination de la part des autres. Mais la résistance est là, une énergie puissante aussi, ce que la société a tendance à cacher, d’où cette violence envers eux. Mais je voudrai vivre avec eux, et résister pour réfléchir à certaines choses à leur côté.

D’ailleurs, il y a un dialogue évident entre votre premier film Nagai Park Elegy et Kamagasaki Cauldron War, qui retracent cette histoire de mouvement de solidarité et de communauté, dans quel travail de recherche vous-êtes-vous plongé pour concevoir ces deux films ?

Reo Sato : J’ai deux maîtres de documentaires : Makoto Sato et Tetsurô Nunokawa. Leur méthode consiste à vivre sur place, j’ai beaucoup discuté avec eux, j’ai aussi participé à leur tournage. Dans mon premier documentaire, Nagai Park Elegy, j’ai utilisé la même méthode, j’ai vécu avec ces personnes, j’ai mangé avec eux pour les connaître et tisser un lien. Quant à Kamagasaki Cauldron War, nous avons loué une maison avec notre équipe pour écrire le scénario, ainsi, au fur et à mesure que nous apprenions à connaître les personnes, nous pouvions avancer dans l’écriture. D’ailleurs, nous avons demandé à des habitants de jouer dans le film.

Comment parvenez-vous à associer ce côté ironique et burlesque de la performance à un sujet aussi sérieux ?

Reo Sato : Je pense qu’il faut atteindre ce niveau, il ne faut pas simplement faire état de la colère, puisque s’il n’y a que ça, un film ne peut pas être intéressant. Je pense à Chaplin ou Yoji Yamada, certes il y a de la colère contre la société, mais si on la montre seulement de façon brute, cela n’intéresse personne. J’ai envie de dire que sans rire il n’y a pas de révolution. Il faut quand même rendre le film divertissant. Le mouvement social est très sérieux, rendre justice est nécessaire mais si on essaie de la rendre, il faut être vigilent et ne pas imiter le système de la société contre laquelle on se bat. Il peut y avoir des conflits au sein d’un groupe, nous, qui nous battons contre la société, et on peut avoir tendance à imiter la structure de la société. Il peut exister une hiérarchie de pouvoir au sein d’un groupe, une relation de domination, mais c’est ce qu’il faut à tout prix éviter. Et comme je l’ai dit, pour un film, il ne faut pas trop se prendre au sérieux.

Justement, vous évoquiez l’idée que parmi ces communautés, il y a une espèce de lien familial, d’entraide qui se développe. D’ailleurs vous en faites l’évidence avec le lien qui se développe entre la prostituée, le jeune garçon et le voleur, pensez-vous qu’il est plus présent dans ces communautés ?

Reo Sato : A Kamagasaki, il y a beaucoup d’hommes, seuls, sans famille, souvent qui ont coupé les ponts avec leur propre famille. Souvent, c’est aussi à cause d’une dette qu’ils les ont quittés. Bien sûr, il y a aussi certains hommes qui ont perdu leurs parents. Ils se retrouvent souvent seuls et n’ont plus personne avec qui ils ont un lien de sang. Kamagasaki, c’est comme une maison, une grande maison. Ils vivent dans la rue, ou bien dans les petits hôtels doya, des hôtels pas chers pour y passer la nuit. Ils sont donc obligés de manger dehors ou faire la lessive à l’extérieur. Ils y passent beaucoup de temps. On a l’impression que la vie déborde dans la rue, et les bains publics sont nombreux, puisqu’ils n’ont pas de bain dans leur propre chambre. Ce n’est pas une famille de sang, mais il y a un autre rapport très fort qui n’a aucun rapport avec le lien de sang.

Finalement, ce travail d’observation vous a permis de vous impliquer dans leur vie. Avez-vous eu des retours des personnes qui ont visionné le film ?

Reo Sato : C’est comme sur une photo de famille. Ils étaient heureux de s’y retrouver et de reconnaître certaines personnes.

Avez-vous un message à faire passer aux jeunes qui visionnent le film, qui n’ont pas vécu les mêmes épreuves, mais qui pourraient s’y identifier ?

Reo Sato : J’ai envie de dire ‘ne te prend pas la tête’. Si tu viens à Kamagasaki, tu retrouveras des camarades, des amis, il ne faut pas que tu te suicides. C’est le message que je voudrais délivrer, et aussi un message d’espoir à ces jeunes.

Cette idée de suicide, c’est quelque chose que vous avez vu là-bas ?

Reo Sato : Pas du tout ! Jamais ! Il y a des morts, lors des bagarres, des jeunes qui meurent de maladie, de froid, mais il n’y a quasiment pas de suicide.

Pourquoi, selon vous ?

Reo Sato : J’entends beaucoup de personnes dire ‘je n’ai pas le courage de me suicider’.

Après Kamagasaki, envisagez-vous peut-être de concevoir un film sur un autre quartier ?

Reo Sato : J’ai envie de tourner d’autres documentaires sur d’autres villes, mais je n’ai pas encore rencontré le quartier ou la ville qui m’inspire.

Pour vous, c’est donc avant tout un travail de rencontre ?

Reo Sato : Oui c’est possible, mais je tournerai peut-être mon prochain film à Kamagasaki.

 

CKJ : Vous y êtes encore attaché ?

 

Reo Sato : Je suis encore attaché à ce quartier, mais surtout parce qu’il y a  encore des choses que je n’ai pas pu explorer et y faire.

Qu’attendez-vous des amateurs de cinéma japonais à travers le festival Kinotayo, qui ne partagent pas la même réalité, mais qui sont victimes de leurs propres problématiques ?

Reo Sato : Je n’ai pas tellement de message, mais j’aimerais que ces personnes regardent le film en riant. Chacun a ses luttes, mais j’aimerais bien qu’ils arrivent à se battre contre ce qui les fait souffrir : des luttes tout à fait personnelles, des conflits contre leur propre famille, certaines femmes par exemple qui doivent se battre contre leur mari, des enfants contre les parents, des personnes qui doivent lutter contre la discrimination raciale. Chacun éprouve une façon de se battre. Dans mon film, la façon privilégiée était la fuite, ce n’est pas une façon courageuse de se battre, car ils ne se confrontent pas au problème de façon directe, mais j’aimerais que chacun se batte à sa façon.

Nos plus sincères remerciements vont droit à Xavier Norindr et la société Crosslight pour nous avoir convié à cette entrevue, au festival Kinotayo, à l’interprète du festival ainsi qu’à Leo Sato pour cette délicieuse rencontre. 

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