Home Corée du Sud [CULTURE] Quand les fans et les artistes sont en désaccord : la toile s’enflamme !

[CULTURE] Quand les fans et les artistes sont en désaccord : la toile s’enflamme !

by Celia Cheurfa

Avec l’effervescence autour des différents scandales qui ont récemment vu le jour en impliquant des artistes de renom tel que Jung Joon Young, Seungri, Choi Jong Hoon et davantage dans un ordre qui dépasse le cadre fixé par l’industrie musicale -proxénétisme, détournement de fonds, corruption- pour s’inscrire dans un schéma plus classique de la perversion du pouvoir, la position des fans a de toute évidence connu un vent de fraîcheur. Si certains se sont évertués à défendre jusqu’au bout leurs artistes favoris, d’autres les ont condamnés et blâmés dès le départ avec résignation.

Le milieu est si particulier, et la relation entre l’idole coréenne et son fan si spéciale que la position du fan s’éloigne désormais des conceptions “classiques”. Comme pour tout artiste, l’hystérie collective est toujours là, mais le lien qui unit les deux côtés se fait parfois malsain : la corde est fragile et il est facile de la rompre en tirant un peu trop fort dessus.

Mais avec l’instauration -structurelle inconsciente, on l’expliquera en-dessous- d’une politique du fan, son comportement évolue et son rôle se manifeste plus important. Enquêteur aguerri, le fan pose lui-même les normes autour de son artiste. Voilà pourquoi on reconsidère désormais sa place. Les conflits naissent lorsqu’un artiste dévie de ces normes et rentre alors en contradiction avec les représentations, les idéologies, la volonté d’une communauté de fans, mais aussi d’un fan en tant qu’individu.

La réaction est donc logique et prouve la diversité d’un fandom : si l’artiste est passé au crible, c’est parce qu’il peut parfois porter offense à une communauté, qu’elle soit religieuse, identitaire ou sexuelle par un comportement scandaleux, ou tout simplement maladroit. Plus l’artiste a de notoriété, plus la toile et les médias s’enflamment.

L’industrie musicale coréenne n’échappe donc pas à cette règle et se fait même une mine d’or pour les lanceurs d’alerte, ou pour les fans engagés. Avec ses caractéristiques particulières, son obsession pour l‘idol, l’implication et le rôle fondamental du milieu du divertissement dans la société, ses problématiques mêmes dans l’équation agence-artiste-média-fan et surtout toutes les interrogations qu’elle relève -il faut d’ailleurs comprendre que la place laissée à l’industrie musicale est à des années lumières de ce qu’on peut imaginer en occident – l’équipe vous propose de mesurer l’évolution du rôle du fan en décryptant quelques-unes des plus grosses disputes qui l’ont secouées, parfois avec des motivations légitimes, mais parfois si démesurées que les comportements des fans ne s’en sont vus que déraisonnables….

La culture du fan, le culte de l’artiste

Si l’on s’amuse à faire un petit point étymologique -essentiel malgré tout- sur la racine du mot “fan”, celle-ci s’attache immédiatement au fanatisme. Clarifions les choses, l’idée du fanatisme se fait de nos jours plus politique voire religieuse et l’on ne qualifiera que très rarement le fan, l’admirateur de fanatique.

Le fanatisme, qu’est-ce que c’est ? C’est tout simplement une admiration ou une conviction si poussée pour une idéologie ou une personne qu’on s’implique corps et âme dans tout ce qui les entourent. La situation dans l’industrie musicale coréenne, c’est un peu la même chose. Là-bas, le culte d’un artiste est presque social : on le voit partout, au détour d’une rue, d’un arrêt de bus, les partenariats sont nombreux et les émissions de télévision le mettent au centre. Bien entendu, on ne se concentrera dans cet article que sur l’idol sans nier les autres conflits qui touchent les groupes indépendants, les acteurs et autres personnalités du divertissement.

L‘entertainment musical coréen, c’est aussi une espèce de lien indéfectible entre l’artiste et son fan, qui s’exprime donc dans une culture typique du fan. Si la passion est commune, c’est parce qu’elle demande autant d’implication de la part des deux partis : les fans font des donations, soutiennent financièrement leurs artistes, consacrent pour les plus engagés un temps inimaginable à leur soutien, et pleins d’autres choses encore, qui rendent par conséquent ce lien si spécial. En retour, les artistes remercient sans cesse les fans, les mettent au cœur de leur motivation, transmettent des émotions exacerbées par leur musique, tentent de communiquer quotidiennement par le biais des réseaux sociaux et des fans-cafés avec eux et jouent parfois sur l’idée de fantasme. La particularité, c’est donc que cette relation devient quotidienne, quitte à devenir obsessionnelle chez certaines personnes. Les fans se sentent donc concernés par tout ce qui concerne leurs idoles, et s’engagent personnellement, en tant qu’individu avec une identité, des convictions, des modes de pensées dans cette relation, d’où l’idée de se sentir directement offensé lorsque l’artiste enchaîne bourdes et maladresses.

Dans ce qu’on pourrait appeler “le carré de l’industrie musicale”, composé de l’agence et des équipes internes, de l’artiste, des médias et des fans, ces derniers prennent donc un rôle essentiel. La monopolisation du pouvoir est presque inévitable, à tel point que les idoles n’ont que très peu de place entre ces trois acteurs. De manière générale, un fan participe de nos jours à 70% de la carrière d’un groupe, et les gros poissons de l’industrie musicale l’ont bien compris puisqu’ils en font désormais même l’un des acteurs principaux dans le lancement d’un groupe : il suffit de voir comment les équipes de production de Produce 101, de MIXNINE et autres émissions redoublent d’inventivité pour permettre aux fans de poser leur droit de véto et de choisir ce qu’ils ont envie de voir. Adieux sondages et autres questionnaires interminables, désormais, le fan accède directement au service qui lui sera proposé, étant donné qu’il est le premier consommateur, et par là le principal déterminant dans la réussite d’un artiste.

Dans un conflit entre artiste et agence, on ne peut pas dire que les fans influent directement sur la résolution de celui-ci, puisqu’il n’ont pas de main mise sur la législation, et qu’il s’agit surtout de procès, mais ils n’ont pas peur de prendre des risques et de défendre leurs artistes afin de leur permettre d’accéder à de meilleures conditions de travail et de s’arracher à ces “slave contract”.

Cette dimension purement sociale, qu’on remarque sur la toile avec la banalisation des réseaux sociaux, et sous d’autres types d’actions dont les plus importantes ; le boycott, les pétitions et la confrontation directe auprès des agences, est donc essentielle dans l’équation. Kang Daniel, l’une des idoles les plus en vogue du moment, n’a vu sa notoriété qu’accroître avec un soutien exponentiel de la part des fans de tous fandoms confondus. A contrario, le cas de l’intégration de Henry Lau aux Super Junior a défrayé la chronique : les ELF ont demandé, sous menace de boycott et donc de gel des ventes du groupe la non-intégration de l’artiste dans le groupe. La SM Entertainement n’a pu que se soumettre à la demande et assurer que Henry Lau n’intégrerait que la sous-unité des Super Junior-M (mandarin). Les agences ont d’ailleurs même tendance à préférer mettre en péril l’équilibre d’un groupe plutôt que frustrer les fans et risquer des réponses violentes.

En bref, le fandom fait figure de pouvoir, voire même de structure essentielle, dont il n’a parfois pas conscience, dans l’industrie musicale. Si la plupart des fandoms se vouent une guerre sans merci -en tout bien tout honneur –, il n’est pas rare de les voir se réunir pour soutenir une même cause et essayer de sauver l’honneur d’un artiste ou à l’inverse de le condamner pour son comportement inacceptable. C’est le cas avec les scandales récents autour de trafics de drogues, de proxénétisme, parfois de viols, dans quels cas il est inacceptable pour quiconque s’applique à prôner des valeurs morales d’accepter ou de tolérer ces actions immorales et ces crimes.

La montée en puissance de ces fandoms est telle que désormais, les actions impliquent même des fans internationaux, même si l’hostilité qu’éprouvent certains fans à leur égard peut parfois sembler déraisonnable. En fait, la question de l’origine est toujours un tabou, même si elle centrale. Alors que certains dénoncent le racisme équivoque de certaines idoles (Wendy des Red Velvet), d’autres fans sont encore hostiles face aux idoles chinoises (les pétitions montées contre Luhan des EXO). C’est dire à quel point la relation est malsaine : plus le fan a du pouvoir, plus il se sent impliqué dans la carrière d’un artiste, et plus il est plus sensible aux remarques, aux comportements maladroits et aux valeurs portées par l’artiste.

Parmi les quelques causes des conflits -légitimes ou non- entre les artistes et les fans, on retrouve le plus souvent des questions :

  • De racisme.
  • De misogynie :  avec la chanson “War of Hormone” des BTS et de beaucoup d’autres clips.
  • D’hyper-sexualisation des idoles : les filles en prennent aussi beaucoup plus pour leur grade malgré elles : on leur reproche de porter des vêtements trop courts, leurs chorégraphies explicites. Mais cela dépend surtout de la politique de l’agence. Les idoles n’ont pas leur mot à dire en début de carrière sur le choix d’un concept.
  • De comportement obscène ou offensant, souvent interprété à tord et à travers : le cas où V des BTS s’est mis à fredonner “Loser” des BigBang alors que le groupe venait d’obtenir une victoire sur un show musical. Les V.I.P s’étaient alors sentis offensés et avaient perçu l’action du jeune homme comme une provocation, ce dernier s’étant justifié en déclarant affectionner la chanson et en s’excusant pour sa maladresse.
  • D’harcèlement sexuel de plus en plus dénoncé grâce à l’évolution des mœurs, aux mouvements pour les droits de la femme..
  • D’offense à une conviction religieuse : CL et le clip “mental breakdown”, qui s’est vu édité à la suite des proclamations de jeunes fans musulmans
  • D’offense à un événement traumatisant pour une population.

C’est peut-être cette dernière raison qui est la plus intéressante pour comprendre comment désormais le fan devient un “citoyen” de l’industrie musicale !

Lorsque le rôle du fan se fait politique : des scandales à la une 

N’oublions pas que le fan est avant tout un individu politique avant d’être membre d’une communauté. En d’autres termes, le fan est une personne qui acquiert des droits selon son appartenance religieuse, selon sa nationalité, selon son identité sexuelle.

Dans cette relation idole-fan, ce sont des valeurs morales et politiques qui sont impliquées : l’identité prime sur le prototype d’un fan. Le fan est humain avant d’être fan. Ce sont aussi ses propres valeurs et ses idéologies qu’il met en jeu et qu’il se permet de revêtir plus librement. Ce sont aussi les fans qui dessinent et donnent au groupe l’image de leur choix. Voilà pourquoi le fan se transforme désormais en citoyen.

Pour comprendre, on pourrait faire référence à l’expression du sociologue Dewey -avec un propos réadapté à la situation- de “mini-sociétés”. Les fandoms sont désormais des mini-sociétés, ce sont de vrais structures politiques : les gens sont plus actifs, il y a des politiques, des chartes et des droits, et même des plans d’actions. Si l’on compare à notre société, les fandoms sont des structures politiques avec des citoyens qui décident d‘élire des représentants. Il y a donc un aspect très démocratique en même qu’un impérialisme -lié à la place des fandoms en Corée- que les agences tentent de tempérer.

D’une part, lorsqu’il s’agit d’une question de représentation, les fans ne veulent pas voir entacher la réputation d’un artiste, à l’image de la leur. Le cas des désaccords entre les ARMY et les BTS face au concert prévu en Arabie Saoudite est très intéressant. Pour cause, si l’artiste fait figure de représentant, et les BTS n’ont jamais caché soutenir les causes LGBT, les droits des femmes et autres, lorsqu’il agit de manière contradictoire, les fans se sentent offensés en même temps qu’ils essaient de ne pas nuire à l’image du groupe. Les fans qui s’opposent au maintien du concert en Arabie Saoudite dénoncent surtout l’idée qu’il s’agit d’un pays aux politiques qui vont à l’encontre des droits de la femme. La réponse de la Bighit Entertainement, c’est qu’à l’évidence tous les fans doivent êtres mis sur le même pied d’égalité et doivent bénéficier de la même chance de voir les artistes.

D’un côté, c’est un peu ironique lorsque l’on note que certaines villes se partagent le monopole des concerts. On le sait, l’Arabie Saoudite est sûrement une mine d’or pour l’agence et les partenariats doivent fuser. L’Arabie Saoudite est l’un des berceaux du capitalisme mais certains droits sont encore niés. D’un côté, certains fans pensent que la réponse est légitime du point de vue de l’artiste. Par conséquent, ce conflit est d’un ordre très politique puisque c’est parce que les BTS eux-mêmes deviennent de vrais armes politiques que les fans se positionnent un peu comme des citoyens en désaccord avec les décisions de leurs représentants politiques. Cette figure de représentation est essentielle puisque l’engagement mutuel, les remerciements, la complicité, la mention des fans est constituante du comportement des artistes, d’où l’hostilité des fans de voir les BTS s’y produire.

Vous l’avez donc remarqué, certains sujets attisent les désaccords et heurtent la sensibilité d’un individu. La plupart du temps, la notoriété et l’influence d’un artiste sont telles que ses actions n’en sont que plus expertisées.

Rappelons que l’industrie musicale prend une place si importante dans la vie politique coréenne qu’elle peine parfois à se rendre compte de tout le poids qui pèse sur ses épaules. Certains artistes sont complètement dépassés par l’idée qu’ils sont désormais purement impliqués dans la diplomatie culturelle du pays. Autrement dit, un artiste, contrairement à un homme politique, a le privilège -et en même temps la face sombre et cachée du privilège- de pouvoir atteindre différentes nations. Les barrières du langage, de la religion sont dépassées. Mais parfois, la limite est si fine et si délicate qu’il arrive que des actions soient perçues de manière totalement offensantes par certains fans, d’une même communauté.

La question des relations nippo-coréennes est très ambiguë. On a déjà eu l’occasion de vous montrer que d’un point de vue purement politique, les relations entre diplomates connaissaient un avenir sombre, à l’inverse de l’industrie musicale, qui n’a jamais été plus épanouie au Japon qu’à l’heure actuelle. En bref, c’est avec des pincettes que les artistes doivent un peu appréhender l’entourage dans lequel ils évoluent. Certains épisodes historiques sont toujours délicats à aborder, et il arrive que des artistes offensent -très souvent de manière involontaire- les populations.

Le cas le plus fréquent est celui des épisodes du bombardement des 6 et 9 août 1945 de Hiroshima et Nagasaki. On rencontre deux cas de figure : celui du clip “Happiness” des Red Velvet, édité à la suite du scandale, qui faisait mention de journaux de guerre et celui de Jimin des BTS, qui a porté un vêtement avec la représentation du bombardement de Hiroshima. A côté de ça, on retrouve aussi Junoe des iKON, qui a ouvertement montré son affection pour Takeshi Kitano, l’une des personnalités du divertissement japonais les plus controversées, favorable à un nationalisme extrémiste. Les crayon Pop ont elles aussi été accusées de porter atteinte aux fans de l’archipel, alors qu’elles étaient accusées de plagiat.

En même temps, cela traduit des conflits qui dépassent le champ d’action des fans : la responsabilité donnée aux artistes va donc de pair avec la conscience du milieu dans lequel ils se trouvent. Si des choses positives en ressortent, le revers de la médaille peut se montrer très violent.

Des réponses parfois poussées à l’extrême

Faire la distinction entre les conflits moraux et politiques et les conflits d’ordre normatifs -ceux qui dévient d’une norme que les fans ont eux-mêmes imposée- est essentielle pour remarquer que certaines réactions de fans sont déraisonnables, et même totalement en décalage avec le mouvement initial et la tendance générale d’un fandom. Ces réponses sont liées à l’obsession malsaine qui émane parfois du principe de l‘idol. En créant une obsession, on crée nécessairement des maux, ou des réactions différentes.

Qui n’a par exemple jamais été frappé par les réactions de certains fans ?

Lorsque Sungmin des Super Junior a révélé avoir l’intention de se marier, les réactions ont parfois été extrêmement violentes. Des mouvements chez les ELF se sont mis en place pour réclamer le départ du groupe du membre. Pourquoi ? Parce que faire le choix de cette liberté, de ce droit fondamental remet en question une stabilité et un équilibre que les fans ont construit autour d’un mythe. Plus encore, c’est l’idée de trahison qui domine, la confiance, première condition de l’engagement mutuel, s’est vue trahie.

Le cas des sasaengs

On s’engage ici sur un terrain miné, même si on n’a absolument pas vertu à dresser un compte-rendu total de ce qu’est un sasaeng, peut-être cela fera t’il l’objet d’un autre article ? Pour l’instant, l’intérêt est de faire la distinction entre les différents types de réactions, impliquant alors de se plonger dans les plus absolues, dont celles des fans sasaengs.

En fait, c’est un cas très particulier et très intéressant, que certains experts définissent comme pathologique. Les sasaengs ne jugent pas directement les actions des artistes mais ils s’approprient totalement leur identité, en créant un fantasme et un monde totalement éloignés de la réalité. Voilà pourquoi ils réagissent avec une telle violence, parce qu’avec des actions imprévisibles, l’idole va à l’encontre -parfois malgré elle d’ailleurs- de leur équilibre. Un bouleversement violent se passe chez ces fans, et la riposte est inévitablement d’autant plus violente. On se rapproche de ce qu’il y a de plus malsain dans l’origine du terme idole. “Idolatrer”, c’est ne plus voir que par un objet de culte, c’est s’y dévouer. Les sasaengs en viennent à nier l’individualité de l’artiste : ils ne voient plus que l’objet de fantasme à obtenir, quitte à le détruire et à l’abîmer. Ce qui compte, ce n’est plus qu’en faire sa propriété. Les normes imposées par le saseang ne sont plus que celles fixées par son imagination, et son obsession.

Si l’équipe a choisi de ne dresser qu’un tableau que très limité des divers scandales afin d’évaluer la tendance générale et les problématiques -autant mélioratives que péjoratives- qu’une relation aussi proche entre l’idole et son fan, avec ce que les limites très fines dans ce “carré” génèrent, n’hésitez pas à nous faire part de vos diverses réactions !

Sources images : kotaku, lepoint, koreaboo

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